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domingo, 19 de junho de 2011

Lettre 38

«Marienbad, 20 août 1880.

Ami Gast, dans mon humeur de moissonneur, voire de fête de la moisson, votre lettre apporte se résonance, un peu sombre, il est vrai, mais si bonne et forte qu'aujourd'hui encore, comme toujours, ma méditation sur vous s'apaise et s'achève sur le choral:

«Ce que fait Gast est bien fait,
Juste est sa volonté!» Amen.

vous êtes d'une trempe plus robuste que moi et vous avez le droit d'aspirer à un idéal plus haut. Pour ma part, je souffre atrocement lorsque je suis sevré de sympathie. Et par exemple, rien ne pourra compenser, pour moi, la perte de la sympathie de Wagner, ces dernières années. Si souvent je rêve de lui et toujours dans le style de notre confiante intimité d'alors! Jamais, entre nous, une parole méchante ne fut prononcé, dans mes rêves non plus - mais beaucoup de paroles encourageantes et enjouées et peut-être n'ai-je autant ri avec personne.  Tout cela est du passé - et à quoi sert d'avoir raison contre lui certains points? comme si cette sympathie perdue pouvait être ainsi effacée de la mémoire! Déjà auparavant j'avais eu des expériences analogues, et probablement en aurai-je encore. Ce sont là les plus durs sacrifices que la ligne de conduite de ma vie et de ma pensée aît exigés de moi. A présent encore, après une heure d'entretien sympathique avec des êtres qui me sont absolument étrangers, toute ma philosophie chancelle; il me semble tellement absurde de s'obstiner à avoir raison au prix de l'amour et de ne pouvoir communiquer ce qu'on a en soi de plus sérieux pour ne pas s'aliéner la sympathie. Hinc meae lacrimae.
Je suis toujours à Marienbad: le «temps autrichien» m'a retenu!! Pensez que depuis le 24 juillet il y a  des pluies quotidiennes et souvent à longueur de journée. Ciel pluvieux, air pluvieux, mais de bons sentiers dans la forêt. Ma santé a de nouveau connu une régression; mais in summa je suis satisfait de Venise et de Marienbad. Il n'a certainement jamais été autant pensé ici, depuis Goethe, et encore Goethe n'a-t-il pas dû se laisser hanter par des choses aussi essentielles - je me sens de loin dépassé moi-même. Un jour en forêt, un monsieur qui passait près de moi, m'a dévisagé d'un regard très aigu; à cet instant, j'ai senti que mon visage devait rayonner de bonheur et que depuis deux heures déjà que j'errais, j'avais ce visage-là. Je vis incognito, comme le plus modeste curiste. Sur la liste des étrangers, je figure comme Monsieur le Professeur Nietzsche. Il y a ici beaucoup de Polonais et, fait étrange, ils me tiennent absolument pour un Polonais, m'abordent avec des formules de salut em polonais et ne veulent pas me croire quand je me proclame Suisse. «C'est la race polonaise, mais Dieu sait de quel côté penche le coeur» - c'est en ces termes que l'un d'eux m'a quitté, tout chagrin.
Le début de septembre me trouvera à Naumburg. Les Overbeck aussi m'y rejoindront, ainsi que Madame Wohrmann (elle déménage de Naumburg et retourne à Venise). Le fils de Madame von Worhmann ainsi que l'ami de ce dernier, O. von Werthern, qui fréquentent le gymnase de Naumburg, viendront habiter chez nous.
Avez-vous les «Hommes du XVIIIº siècle» de Sainte-Beuve? Ce sont de magnifiques portraits d'hommes et Sainte-Beuve est un grand peintre - mais sur chaque figure je vois une courbe qui lui demeure invisible, et c'est ma philosophie qui me donne cet avantage sur lui. Ma philosophie ? Le diable m'emporte! Pour vous, veuille le bon Dieu vous emporter - il prend joie à tous ceux de votre nom.

Fidèlement votre, 

F.N.

Friedrich Nietzsche, Lettres à Peter Gast 

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