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domingo, 9 de outubro de 2011

Murmure

«Est-ce moi? Ce grand homme nu, qui s'étonne de vivre, et ses mains le parcourent, le poitrail, les muscles, l'arcature: quel âge as-tu, garçon? La trentaine, un peu plus. L'âge de rencontrer Murmure. Dans ce temps-lá, je me dispersais comme un feu, d'une canne ou du pied, pour voir les dernières étincelles ranimer les cendres, éparpiller l'éclat. Comme je me ressemble encore! Est-ce que j'ai rêvé tout le reste, après, trois semaines, trois heures, trente ans... Tout n'aurait donc été, nous et le monde, qu'un long rêve? Je suis celui des premiers jours, je ne t'appelle pas encore Murmure, et tu dors sans savoir quil est advenu toute cette histoire des années... je suis celui des premiers jours, et tout ce que j'ai rêvé, c'est comme dans l'homme qui tombe à mourir, cette chute de la vie à rebours, le vivre revécu, rien n'a eu lieu, c'est toujours la première nuit de nous, la première fois que je me réveille et tu dors. Je me réveille, ce grand homme maigre et violent, sa jeunesse, ayant perdu dans tes bras sa folie, tout à coup l'avenir à sa taille, et frémissant de ta présence, regardant la nuit pour la première fois, et le monde obscur ainsi pour la première fois. Ah tu es là, tu respires. Écoute-moi, je suis peut-être un autre. Dans quel instant d'aimer sommes-nous soudain surpris? Qu'une chose, une seule, ait varié dans l'ombre, et rien du reste n'est plus notre décor éveillé, il faut tout remettre à l'échelle, il suffit sur la chaise d'une étoffe inconnue, une longue robe mauve aux grandes manches fendues, comme on voit je ne sais dans quel Watteau, où les gens s'en vont dans un parc en faisant de grands gestes pâles... il faut remettre à l'échelle d'un taffetas tout ce qu'on pense, et ce qu'on est, et ce qui se passe là-bas sur un lac vaguement encore éclairé...
Je me réveille, et c'est au monde qu'il me faut demander quel âge as-tu?»

Louis Aragon, «Premier conte de la chemise rouge. Murmure», in La Mise à Mort

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