«Le verbe «survivre» recèle une ambiguité irréductible. Il suppose le renvoi à quelque chose ou à quelqu'un auquel on survivrait. Le latin
supervivo - comme son équivalent
superstes sum - se construit en ce sens avec le datif, qui indique «ce à quoi» l'on survit. Mais, dès le départ, s'agissant des êtres humains, le verbe admet une forme réflexive, donc la curieuse idée d'une survie à soi-même et à sa propre vie, où celui qui survit et celui auquel il survit ne font qu'un. Si Pline peut ainsi dire d'un personnage public: «Il avait survécu trente ans à sa gloire» (
triginta annis gloriae suae supervixit), on trouve déjà chez Apulée l'idée d'une véritable existence posthume, d'une vie qui vit en se survivant (
etiam mihi ipse supervivens et postumus). Dans le même sens, les auteurs chrétiens peuvent dire du Christ - et de tout chrétien avec lui -, en tant qu'il a survécu à la mort, qu'il est à la fois testateur et héritier
(Christus idem testator et haeres, qui morti propriae supervivit), mais encore du pêcheur, en tant que spirituellement mort, qu'il se survit sur terre
(animam tuam misera perdidisti, spiritualiter mortua supervivere hic tibi).
Cela suppose qu'en l'homme la vie apporte avec soi une césure, qui peut faire de tout «vivre». En un sens - celui retenu, comme on l'a vu, par Bettelheim -, survivre signifie la pure et simple continuation de la vie nue, par opposition à une vie plus vraie, plus humaine; en un second sens, la survie a une connotation positive - comme chez Des Pres - et concerne celui qui en luttant contre la mort a survécu à l'inhumain.»
Giorgio Agamben, Ce qui reste d'Auschwitz
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